Le Carnet de Chants : « La Cascade »
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Le Carnet de Chants : « L’Orphelin du Hâmeau »
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Le Carnet de Chants : « Belle Eugénie »
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Les Chapelles de Manigod – Article 1 : La chapelle du Villard-Dessous
Il est assez remarquable que les 6 chapelles de Manigod soient placées sur deux lignes : l’une s’étend par le fond de la vallée, depuis le Villard-Dessous jusqu’à la Charmette en passant par les chapelles de Joux et Tournance, tandis que l’autre ligne s’étend du Montpellaz au Plan des Berthats ; de sorte que ces deux lignes forment une croix avec l’église de Manigod au croisement de ces deux lignes.
Ces 6 chapelles sont sises dans les hameaux de :
- Villard-Dessous
- Joux
- Tournance
- Montpellaz
- Plan des Berthats
- La Charmette
1 – La chapelle du Villard-Dessous
La première chapelle construite en ce lieu était la plus ancienne de Manigod : elle fut élevée en 1630 alors qu’une effroyable épidémie de peste faisait plus de 400 morts à Manigod.
Deux hommes forts pieux, le Révérend François Golliet, curé des Clefs, (vicaire à Manigod de 1611 à 1617) et son frère Pierre firent construire cette chapelle pour implorer la compassion de Notre Dame de Pitié en faveur de la paroisse. Par acte du 28 février 1631, ils lui allouèrent un revenu annuel de 35 florins (soit 23 francs, 45 centimes) pour qu’un certain nombre de messes y soient célébrées chaque année.
En 1766, on ajouta le vocable de Saint Laurent et de Saint Clair à celui de Notre-Dame de Pitié. Le 5 juin suivant, l’évêque Jean-François de Sales se trouvant à Manigod, les deux frères Golliet lui firent homologuer leur acte susdit du 28 février précédent et le prièrent de conférer le rectorat de cette chapelle au curé de la paroisse et à ses successeurs à perpétuité.
Ce lieu de prière est placé sous le patronage de la Vierge et de saints protecteurs ou guérisseurs. A cette époque, le culte des saints était très important. Les fidèles ayant parfois quelques craintes à adresser directement leurs prières à Dieu, ils s’en remettaient à ces derniers.
En 1881, cette chapelle fut déplacée et reconstruite à l’endroit actuel, sur la hauteur.
De style néogothique, fine et élancée, cette chapelle a la particularité de ressembler à une petite église. Une rosace orne le haut du porche d’entrée et 3 hauts vitraux ogivaux ont été placés de chaque côté (représentant en particulier St-Pierre, St-François, St-Claude et St Laurent).
Lors de la Révolution, la statue (en bois) de St-Laurent fut retirée de la chapelle et cachée sous un tas de foin dans une grange du hameau. Dans les années 2000, cette statue a retrouvé sa place initiale dans la chapelle.
Dans une niche au-dessus de l’entrée de la chapelle actuelle de Villard-Dessous se trouvait une « vierge de Pitié » ou « Pieta » en bois sculpté. Retrouvée en bon état, cette statuette pourrait bien être celle qui ornait l’ancienne chapelle construite en 1630, dont la fondation est décrite dans l’ouvrage » Mémoire sur les antiquités religieuses, civiles, politiques de Manigod » . Pour la protéger des intempéries, un voisin l’a retirée, nettoyée, traitée, vernie. Et pendant vingt ans cette statuette est restée dans une boîte en carton à proximité de la chapelle !
Note : à l’époque de la création de cette chapelle, le hameau du Villard-Dessous s’appelait Villard-d’Aval.
L’Inventaire de 1906 : un évènement mal vécu à Manigod !
7 MARS 1906
Si la foi des habitants de Manigod n’a pas encore transporté des montagnes, elle a du moins, le 7 mars 1906, transporté une imposante force armée. Trois compagnies du 30e sur pied de guerre, 70 gendarmes, deux commissaires spéciaux, M. Naudet d’Annecy, et celui d’Annemasse, 4 crocheteurs civils, Isard, Marcoz, Dunoyer et Pratter, d’Annecy. Le préfet, dit-on, et M. Leyat, procureur de la République, en permanence chez M. Hôtelier, juge de paix à Thônes, la voiture cellulaire prête à emmener en prison tous les manifestants arrêtés et condamnés d’avance, tout cela mobilisé pour une paroisse de 300 électeurs. 400 hommes armés, contre 300 citoyens paisibles, telle est la situation créée par un préfet habile !!!
La nouvelle de ce déploiement de force armée s’était bien répandue la veille dans la population ; on se refusait à le croire. Aussi, au matin, tous les préparatifs se bornaient à une rangée de casseroles formant guirlande à l’entrée du village, et un drapeau en berne au clocher. Soudain, vers 9 heures, on apprend la mise en marche d’un détachement quittant Thônes ; alors c’est une frénésie ; l’église est envahie, les cloches s’ébranlent, sonnant le glas, les bancs s’entassent en barricades formidables derrière six portes de l’église.
Dans la crainte de voir l’église cernée avant l’heure, le clergé se décide à porter le Saint-Sacrement à la cure. La messe peut cependant se dire à l’heure habituelle, pendant qu’une compagnie fait halte à 400 mètres du village. Aussitôt après la messe, M. l’abbé rappelle aux assistant les paroles de calme dites par M. le Curé le dimanche précédent ; il les supplie de regarder cette mobilisation incompréhensible et ridicule comme un honneur pour leur foi. « Si vous voulez écouter mon conseil, ajoute-t-il, vous laisserez l’église complètement vide, vous n’occuperez pas même les abords, ce sera un moyen d’éviter tout incident regrettable et de rendre plus ridicule un tel déploiement de force armée. » De vives protestations accueillent ces paroles : « Abandonner notre église, jamais ! » Un groupe de catholiques (d’hommes, de femmes) s’y enferment. A grand-peine les prêtes peuvent obtenir que personne ne reste sur le perron ; sans cette soumission et cette précaution, les pires incidents étaient à craindre de la part d’une population que l’arrivée intermittente des troupes excite toujours plus.
En attendant l’heure, M. le Curé se promène sur le perron en souriant ; M. l’Abbé, près du Conseil de Fabrique, dit tranquillement son bréviaire.
Un dernier groupe apparaît à travers les arbres dénudés, groupe qui a dû faire tressaillir le feston des casseroles ; ce sont les gendarmes, escortant les commissaires, l’agent et les plus répugnants de la troupe, les crocheteurs. A midi et demi, l’agent, M. Martin, et les commissaires escaladent le perron surplombant la place. M. le Curé veut lire sa protestation : « Je suis prêt à entendre votre protestation, dit l’agent, mais quand vous la lirez sur les portes ouvertes de votre église. – « Dans ce cas, répond M. le Curé, je ne la lirai pas. » Et il proteste avec vivacité contre les illégalités commises, contre le déploiement de troupes fait pour la première tentative d’inventaire. « Pour qui donc prend-on mon peuple, s’écrie-t-il ; veut-on nous traiter comme des sauvages ? »
Un colloque assez vif s’engage d’ailleurs entre M. le Curé, M. l’Abbé, les membres de la Fabrique et l’agent de l’Inventaire. Devant le refus catégorique d’ouvrir les portes, M. Martin, se décide à entendre les protestations de M. le Curé et du Conseil de Fabrique.
Après un nouveau refus, sans en référer au préfet, M. Naudet fait connaitre sa mission de procéder par violence. « Exécutez vos ordres, lui est-il répondu. » –Ce n’est pas à la victime à aider les bourreaux, avait dit M. le Curé dans sa protestation. » M. Naudet procède aux sommations, qui restent inutiles. La porte qui sera sacrifiée est choisie. Les crocheteurs s’approchent sous les huées. On voit l’un d’eux s’élancer avec un lourd pal de fer. Oh ! ce frisson et ce cri de protestation qui parcourt les fidèles groupés derrière les soldats, lorsque le premier coup s’abat sur cette porte respectée même pendant la Terreur de 93. Et pendant une heure les coups, les efforts se succèdent contre cette porte barricadée qui résiste quand même, comme la foi de toutes les générations qu’elle a vues se succéder. Les protestations à l’extérieur s’unissent aux cantiques chantés à l’intérieur. Les glas continuent, lugubres. Exaspérés par cette résistance, un commissaire et deux crocheteurs se détachent, et vont attaquer une seconde porte, celle de la Chapelle du Sacré-Cœur. Celle-ci résiste moins ; le troisième coup la fait céder ; il s’agit de traverser la barricade ce qui se fait non sans peine. Enfin la victoire reste à la force, et on voit deux ou trois gendarmes acharnés arracher les bancs avec rage, les élever et les précipiter à terre pour les briser. Puis, lorsque les deux issues sont ouvertes, les gendarmes s’y engouffrent, poursuivent les assiégés qui se refusent à sortir de leur église. M. l’Abbé lui-même essaye de calmer et le zèle des uns et les protestations des fidèles. Il arrache même des mains d’un gendarme une mère de famille que celui-ci bouscule. Cet excès de zèle outré, pour ne rien dire de plus, ne fut le fait que de deux ou trois sectaires.
Enfin, l’agent peut pénétrer ; il opère illégalement encore, seul, sans témoins, au milieu des bancs brisés et à travers les barricades. Il est d’ailleurs lamentable, le spectacle de cette église en désordre avec son Autel couvert de ses tentures de deuil.
L’armoire à trois clefs avait été portée en sacristie. Les détenteurs des clefs refusent d’ouvrir. « Elle nous sera bien inutile quand nous serons dépouillés, fait remarquer M. le Curé, vous pouvez la forcer. » M. Naudet intervient avec ses nouveaux employés les crocheteurs ; « J’aurai le plaisir de vous voir opérer une seconde fois, dit en souriant M. le Curé ; ce travail vous va très bien. » Il ne reçoit pas de réponse.
Enfin, c’est fini, les soldats s’ébranlent, acclamés ; les agents et les crocheteurs disparaissent, vigoureusement conspués. Le petit village de Manigod avait eu l’honneur d’être mis pendant trois heures et demie en état de siège pour sa foi, mais ce siège ne sera pas un des plus beaux titres de gloire du préfet Ténot, affolé par des rapports imbéciles et des racontars idiots.
A peine les abords de l’église sont-ils évacués que la foule se précipite ; on se dispute les débris des portes ; on en fera des croix, tristes souvenirs qu’on gardera cependant avec fierté. Puis on se groupe dans l’église, examinant les dégâts, commentant les incidents, riant de la peur causée au ridicule représentant d’un gouvernement persécuteur. Bientôt le désordre se répare, le Saint-Sacrement est rapporté en triomphe dans sa demeure ; le lendemain soir, grâce aux bonnes volontés, les dégâts n’apparaissaient plus ; seules des portes provisoires attendaient celles que de généreux donateurs se sont spontanément offerts à reconstruire à leurs frais.
Simple coïncidence
Au moment où l’agent pénétrait, commençait à la Chambre des députés la séance qui devait renverser le ministère Rouvier, l’auteur de la loi de séparation. Trois mois après sa promulgation, cette loi, par ses inventaires sanglants, faisait crouler le ministère qui avait promis de l’exécuter jusqu’au bout.
Au moment de l’Inventaire, étaient :
- Curé : M. l’Abbé Joseph Bosson, depuis 16 ans.
- Vicaire : M. l’Abbé Joseph Colloud, depuis 11 ans.
- Membres du Conseil de Fabrique : MM. Favre François, Président, Bozon Pierre, Maire, Josserand Marie-Joseph, Accambray Aimé, Avettand-Fenoël François, Veyrat-Charvillon Cyprien, de La Vellaz.
La Protestation de M. le Curé de Manigod.
Monsieur,
Le Curé de Manigod soussigné fait les déclarations suivantes :
La loi dite de Séparation de l’Église et de l’État est condamnée par le Pape et par tous les évêques de France. Elle est tenue pour impie et contraire à la Constitution de l’Église, comme renversant la justice et foulant aux pieds les droits de propriété de l’Église, comme violant la fidélité au traité de son annexion à la France, qui lui garantissait tous ses droits, existant en 1860.
L’inventaire ordonné par cette loi est considéré par tous les vrais catholiques comme la mainmise de l’État sur les biens de l’Église, comme le prélude de la spoliation. Les inventaires de 1792 et les inventaires récents des biens des Congrégations religieuses servent de leçons pratiques. Les aveux et les menaces des ennemis de Dieu sont formels et publiques. En 385, saint Ambroise disant à Valentinien qui voulait s’emparer d’un édifice sacré : les choses divines ne sont pas soumises à la puissance de l’empereur romain.
De nos jours des législateurs sectaires ne peuvent pas plus disposer en maîtres des biens qui ne leur appartiennent à aucun titre.
Les biens de l’Église et du Bénéfice-Cure de Manigod, confiés à ma garde, proviennent des libéralités de prêtres et de fidèles qui ont fait des sacrifices et des fondations pour le Culte divin. Les droits des fondateurs sont imprescriptibles et immuables. Le curé doit surveiller les fondations et en acquitter les charges mais il ne peut, en aucune manière, éluder ou changer les intentions des fondateurs.
Pour toutes ces raisons, je proteste de toute l’énergie de mon âme contre le susdit inventaire des biens de l’Église et du Bénéfice-Cure de Manigod.
Je proteste, non seulement pour moi, Curé, mais encore pour tous mes pieux paroissiens, dont la foi et les opinions religieuses sont bien connues.
Je suis invité à prendre part à cette triste opération ; mais certainement ce n’est pas à la victime à aider les bourreaux.
Pour moi, ne voulant et ne pouvant, en conscience, participer à l’exécution de la loi scélérate condamnée par le Pape sous tout rapport, je ne prendrai aucune part ni directe, ni indirecte à cet inventaire tout en réservant et en voulant revendiquer par tous les moyens légaux, les droits des particuliers, des fondateurs, de l’Église et du Bénéfice-Cure de Manigod.
Je demande que la présente protestation soit consignée en tête du procès-verbal de l’inventaire.
Manigod, le 7 mars 1906.
Joseph Bosson, Curé
Protestation des Membres du Conseil de Fabrique de Manigod
Les soussignés, membres du Conseil de Fabrique de l’Église de Manigod, déclarent protester de toutes leurs forces contre l’Inventaire qui leur est imposé. Ils protestent, parce qu’il est la première exécution d’une loi condamnée, le 11 février dernier, par le chef de l’Église, le Souverain Pontife auquel ils se déclarent unis et soumis de toutes les forces de leur âme, de tout l’amour de leur cœur.
Ils protestent, parce que, en vertu de l’art. 5, paragraphe 1er de la loi de séparation, cet inventaire n’est pas autre chose que le premier acte d’une mesure destinée à dépouiller la Fabrique de Manigod de fondations pieuses dont nous, Fabriciens, avons la garde.
Ils protestent contre un acte qui est une attaque directe contre leur honorabilité de citoyens français. L’inventaire est, en effet donné comme mesure conservatoire et préservatrice. Ceux qui l’ont imposé supposent donc que, nous, Fabriciens, nous manquerions à l’engagement de bien administrer le patrimoine de l’Église qui nous est confié ; ils supposent donc que nous Fabriciens, nous nous rendrions coupables d’aliénation, de soustractions ou de détournements à l’égard des biens que nous regardons comme plus sacrés et plus inviolables que les nôtres propres. Une supposition si injurieuse, nous la retournons avec l’estime qu’elle mérite, contre ses auteurs.
Ils protestent contre l’exécution d’un Inventaire qui, pour être strictement légal, n’aurait dû être fait qu’après publication entière du Règlement d’administration publique complétant la loi.
Ils protestent au nom de toute la population de Manigod, qui par souscription publique faite notamment en 1886, a orné et meublé son Église, et au nom de tous les donateurs dont ils réservent les droits. – Ils entendent, de plus, faire toute réserve sur les meubles, immeubles, sol des établissements du culte et fondations qui seraient couverts par les droits acquis du traité d’annexion de 1860.
Ils protestent, parce que l’Histoire leur fait craindre que cet Inventaire ne soit le prélude de la fermeture de leur Église.
Comme il conste d’après une délibération du Conseil Communal de Manigod du 16 Nivôse an II de la République, cette église fut déjà inventoriée au commencement de la Révolution et le dernier dimanche du Février 1793, elle était fermée, les objets du culte étaient volés par le Directoire révolutionnaire.
Ils protestent enfin en rappelant un fait de leur Histoire. Le 14 octobre 1792, nos ancêtres donnaient à l’unanimité le consentement à leur union avec la France, à la condition que la Religion de leurs pères demeurera intacte. (Procès-verbal de cette assemblée).
Dans le fort de la Terreur, ils exposaient leurs biens et leur vie en cachant dans leurs demeures les prêtres mis hors la loi.
Aujourd’hui, voulant continuer les traditions de nos ancêtres au nom de toute la population chrétienne de Manigod, nous déclarons ne jamais vouloir nous courber devant la plus petite atteinte à la liberté de conscience et à notre foi, pas plus devant celle qui doit s’accomplir aujourd’hui que devant celles qui pourraient la suivre.
En conséquence, unis au Chef de l’Église, unis à la condamnation solennelle qu’il a faite de cette loi injuste, considérant que nous ne sommes pas autorisés à disposer de biens dont nous ne sommes que les administrateurs, déclarons nous opposer à cet inventaire et refusons d’y prendre part, même à titre de témoins muets et attristés.
Toutefois, nous requérons l’insertion de la présente protestation en tête du procès-verbal dudit Inventaire, avec toutes les réserves qu’elle contient.
Délibéré, fait et signé à Manigod, le 7 mars 1906.
FAVRE François, Président.
BOZON pierre, Maire.
JOSSERAND Marie-Joseph.
ACCAMBRAY Aimé.
AVETTAND-FENOEL François.
VEYRAT-CHARVILLON Cyprien, de La Vellaz.
Sources: Association Vallée de Manigod Montagne Vivante et Annecy, Imprimerie J. ABRY, 3, rue de la République. – 06-3312
Coutûmes religieuses de Manigod – Les rogations et Le voisinage
Quelles sont, ou ont été, les coutumes religieuses à Manigod ?
Les rogations ? Le voisinage ? Les veillées aux morts et sépultures ? La Fête-Dieu ? Les processions ?
1 – Les rogations
Au printemps, les chapelles vivent un temps fort : les rogations (en patois, on dit « rogachon » ou « raveson »), ce qui signifie : « prières ou supplications ». On désigne sous ce nom les trois jours de processions, avec chant des litanies des saints qui précédaient le jeudi de l’Ascension.
Le troisième jour des rogations, les fidèles venaient dans les chapelles, faire provision d’eau de Saint Grat et s’en servaient pour asperger les jardins et les champs, cette eau devant protéger les troupeaux et détruire les insectes. Le curé bénissait aussi des pousses de noisetier dont on faisait des croix en les incisant avec un couteau. De retour à la maison, les familles plantaient une croix dans le jardin, une dans les champs labourés, une au-dessus de la porte d’entrée et parfois une sur la porte de la grange.
Le culte de Saint Grat est fondé sur une légende selon laquelle au 5ème siècle, une multitude de rats ayant infesté le Val d’Aoste, l’évêque bénit de l’eau avec laquelle il les aspergea et les obligea à se tenir à distance de la ville. Il devint alors un saint essentiellement agraire, vénéré des agriculteurs et des vignerons comme protecteur des cultures contre les insectes et les intempéries.
2 – Le voisinage
Le voisinage est à l’origine une association de paysans qui ressentait la nécessité de s’entraider pour travailler la terre, entretenir les voies d’accès, veiller les morts,… Par exemple, lors des labours, si quelqu’un empruntait une jument, il devait une journée de travail à son propriétaire.
Actuellement, la tradition du voisinage existe toujours et celui-ci s’occupe surtout de l’entretien de la chapelle. « On est du voisinage de telle ou telle chapelle » et cette appartenance est transmise oralement de génération en génération.
Au fil des années, des travaux de restauration effectués ou réglés par les personnes du voisinage ont été effectués dans toutes les chapelles de Manigod.
Curiosités du patrimoine religieux de Manigod
1 – La source de Saint François de Sales
Sur la route conduisant à la chapelle du Montpellaz, dans le bois en contre-bas, se trouve l’oratoire Saint François de Sales édifié en souvenir du grand saint savoyard de la contre-réforme.
En 1607, pour appliquer les décisions du Concile de Trente, Saint François de Sales fut le premier évêque à visiter toutes ses paroisses. La légende raconte qu’il s’arrêta dans ce sous-bois pour se désaltérer. Depuis, l’eau de cette source dite miraculeuse serait bénéfique pour les yeux malades. Vous pouvez vous désaltérer.
2 – La selle de Saint François de Sales
Après la visite de la chapelle de la Charmette, continuez votre route. Non loin de là, se trouve « la selle de Saint-François de Sales ». Le 11 octobre 1607, suite aux décisions du Concile de Trente, Saint François de Salle est le premier évêque à visiter l’ensemble de ses paroisses. Avant d’emprunter le chemin qui le conduisit jusqu’à la commune voisine du Bouchet-Mont-Charvin, il s’adossa contre cette pierre qui aurait miraculeusement pris la forme de sa tête, ses épaules, ses reins. et son bras droit.
D’après les textes de Sylvain Vittoz (Mémoire sur les Antiquités Religieuses – 1852) et Perrine Fillion (2002).
La catastrophe des Andrans
En 1897, la catastrophe des Andrans a causé beaucoup de dégâts et modifié le paysage. Cette catastrophe fut relatée dans :
– « Le Petit Journal » du 05 avril 1897 (article disponible ci-dessous)
– « L’Industriel Savoisien » du 10 avril 1897 (article disponible ci-dessous)
1. « LE PETIT JOURNAL » DU LUNDI 5 AVRIL 1897
EN SAVOIE : LA CATASTROPHE DE MANIGOD
(Dépêche de notre correspondant)
Annecy, 4 avril, 6 h 30 soir.
La nouvelle de la catastrophe de Manigod m’est parvenue hier soir à huit heures.
Ce matin à cinq heures, par une pluie battante, je m’y suis transporté. Le temps est épouvantable. Tout le long de la route ce ne sont que des champs submergés. L’eau coule de tous côtés, et les plus petits filets d’eau sont transformés en gros ruisseaux.
J’arrive à Thônes à huit heures. Là, je suis obligé de changer de voiture car les chevaux sont fatigués. Deux nouveaux chevaux me transportent à Manigod. Il me faut deux heures pour parcourir la forte montée de Thônes à Manigod, pour arriver aux lieux de la catastrophe.
En même temps que moi arrivent le secrétaire général de la Haute-Savoie, M. Schoendoerefer, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, M. Desroche, ingénieur ordinaire, M. Perillat, conseiller d’arrondissement du canton de Thônes, M. Aimé Veyrat, adjoint au maire de Manigod.
Nous arrivons au pied de la coulée de boue. Devant nous le torrent s’allonge sur deux kilomètres jusqu’à l’origine de la catastrophe.
Le lit, qui était très encaissé et dont les berges étaient boisées, est maintenant nivelé par une masse de boue qui, à certains endroits, atteint une prodigieuse hauteur. Le torrent se perd dans cette boue qui continue à avancer lentement.
Les ruines
La première maison détruite est une scierie qui était située à 4 kilomètres du chef-lieu de Manigod, en montant, c’est-à-dire en face du village de Coriaz.
Cette scierie appartenait à M. Joseph Veyrat-Durbex.
Nous arrivons ensuite près de l’emplacement qu’occupait le pont du nant Borrient.
Ce pont, qui était élevé de dix mètres au-dessus du lit, a été emporté.
La scierie de M. Pierre Bozon-Leydier, maire de Manigod, ainsi que le moulin de M. Pierre Sonnier, qui étaient situés près de ce pont, ont disparu.
Nous montons toujours, et notre guide nous montre l’emplacement du moulin d’Emmanuel Rouge-Pullon, ainsi que les traces d’un grenier de Joseph Maniglier.
A environ 300 mètres plus haut, au lieu-dit Vers-les-Nants, sur la rive droite, nous voyons les ruines d’une importante maison appartenant à M. Joseph Maniglier. Cette maison avait été reconstruite, car l’ancienne avait été emportée, il y a vingt-trois ans, par les débordements du torrent. Nous ne pouvons aller plus haut, car les champs sont transformés en véritables mares.
La pluie tombe toujours d’une façon désespérante et nous enfonçons tous dans la boue.
Du reste le lieu d’origine de la catastrophe est très visible. A un kilomètre en avant de nous, le nant Borrient que nous venons de parcourir se divise en deux branches, celle de gauche en montant est nommée nant de la Croix-Furiez, celle de droite nant de Landran. La partie comprise entre ces deux branches forme un mamelon de 200 mètres de hauteur, au sommet duquel se trouvait le hameau de Landran.
C’est au-dessous de ce hameau que l’éboulement s’est produit. Toutes les maisons ont été emportées avec l’éboulement.
La catastrophe s’est produite samedi matin vers cinq heures.
M. Claude Fillion, qui habite sur le côté opposé du torrent l’ayant le premier aperçue donna aussitôt l’alarme et put prévenir assez tôt les habitants de l’Andran qui s’enfuirent, après avoir sauvé le bétail.
C’est ainsi qu’il n’y eut aucune victime.
Le glissement
Le glissement s’est produit avec une vitesse de 40 centimètres à la minute. Il a duré toute la journée de samedi. Sur un parcours de 2 kilomètres, c’est un véritable chaos de boue, d’arbres, de pans de maisons et de bois.
Un léger éboulement s’était déjà produit dans la journée de vendredi, mais les habitants n’y avaient attaché aucune importance.
Outre les maisons détruites, de véritables forêts de sapins ont été emportées et une quantité immense de terrains de culture a été recouverte par la boue.
Toutes ces terres resteront improductives.
Les pertes sont énormes. Il est difficile de les évaluer actuellement.
A la première alerte, toute la population de Manigod s’est transportée sur les lieux pour porter secours dans la mesure du possible.
Lors de mon passage, de nombreuses équipes d’hommes de bonne volonté rivalisent de zèle pour sauver les épaves et arracher à la boue le plus de débris possible.
Les habitants sont absolument consternés, car ils craignent une seconde catastrophe.
Les riverains du torrent déménagent. Les bois ont formé barrage au confluent du Borrient et du Fier et ont ainsi retenu les terres d’éboulement.
Il est à craindre qu’au moment où ce barrage viendra à se rompre, ces terres ne se précipitent dans la vallée du Fier et ne viennent causer des dégâts à la ville de Thônes.
Le lieu d’origine de l’éboulement est composé d’une couche de terre végétale de 80 centimètres d’épaisseur sous laquelle se trouve une couche d’argile de 2 mètres d’épaisseur. On suppose que cette argile ayant été délayée par les eaux de pluie a glissé en entraînant la couche végétale. L’éboulement s’est produit au sommet sur une largeur de 800 mètres dans le lit du torrent.
La masse de boue a de 100 à 150 mètres de largeur et une hauteur moyenne de 50 mètres.
2. « L’INDUSTRIEL SAVOISIEN » DU 10 AVRIL 1897
Article anonyme.
Au-dessus du village des Endrans se trouve un mamelon, la Montagne des Endrans dont les flancs sont formés d’une couche de terre végétale de 1 mètre environ reposant sur de l’argile. Par suite des pluies de la semaine dernière, la terre, déjà fortement humectée, s’est crevassée, l’eau a pénétré jusqu‘à l’argile, et il s’est ainsi formé une nappe liquide sur laquelle la terre arable n’avait aucun point d’appui.
Aussi dès le vendredi de la semaine dernière, de légers éboulements s’étaient produits, mais les habitants des Endrans n’y avaient attaché aucune importance. Le samedi matin vers 5 heures, Monsieur Claude Fillion s’aperçut que la montagne glissait d’une façon sérieuse : il donna l’alarme au village, si bien que tous les habitants purent s’enfuir, chassant devant eux leur bétail.
Toute la journée du samedi, les terres ont continué à glisser, et après avoir détruit tout le village, se sont jetées dans le Nant Bruyant, torrent qui coule au bas.
Le lit de ce torrent dont les berges sont très encaissées, a été bientôt rempli de ces terres qui se sont changées en une sorte de boue liquide mélangée en outre à toutes sortes de débris, d’épaves et à une forêt de sapins enlevée par l’éboulement.
Toute cette masse qui, à son origine avait une surface de 800 m, après avoir envahi le torrent a atteint une hauteur de 50 mètres, sur 150 mètres de largeur, emportées par la pente du Nant Bruyant qui va se jeter dans le Fier. Elle a tout dévasté sur son passage, enlevant les maisons, les arbres, le pont du Nant Borrien d’une hauteur de 10 mètres, recouvrant la terre labourable.
Au confluent du Nant Bruyant et du Fier, les bois ont formé un barrage et empêché d’avancer la lave et les épaves.
On craignait que samedi ce barrage ne fût forcé et que le lit du Fier une fois envahi, ce nouveau torrent n’allât causer des ravages considérables dans la vallée de Thônes même.
La catastrophe a détruit le village de l’Endran en entier, soit les maisons de J.M. Thevenez, Jean Accambray, François Rouge-Potasson, Bernard Potasson, Mme veuve Françoise Fillion, Germain Paulet.
Le Nant Bruyant a emporté la maison et plus loin le grenier de Monsieur Joseph Maniglier, le moulin de M. Emmanuel Rouge- Pullon, celui de M. Pierre Sonnier, la scierie de M. Pierre Rozon- Leydier, maire de Manigod, et enfin la scierie de M. Joseph Veyrat-Durebex.
Les dégâts sont évalués à 400 000 francs. Dimanche matin se sont rendus sur les lieux : MM. Droz, secrétaire général de la Préfecture, Schoendorffer, ingénieur en chef, Desroches, ingénieur ordinaire, Cuillery, conseiller général du canton de Thônes, Périllat, conseiller d’arrondissement. Toutes les populations environnantes ont accouru sur les lieux de la catastrophe et ont fait de leur mieux pour arracher au torrent les quelques épaves qui surnageaient dans la boue.
Des Roches qui n’ont rien à faire ici… Mais heureusement qu’elles sont là !
En effet, leur présence et la manière dont elles se disposent nous aident à comprendre l’orogenèse[1] à l’échelle du massif des Bornes-Aravis, et, plus généralement, des Alpes en général. Il s’agit des roches sédimentaires qui constituent la montagne de Sulens.
Il y a quelques semaines, paraissait sur notre blog une photographie prise par Florence Baud-Grasset, qui m’a permis de la revêtir de quelques traits facilitant son interprétation. Judicieusement pris depuis les Bauges orientales, donc avec un recul significatif, ce cliché montre fort bien la position du Sulens dans le contexte de notre massif.
Cette montagne, bien individualisée, est une klippe, c’est-à-dire un vestige des nappes de charriage qui sont venues se superposer aux roches autochtones, celles qui constituaient notre massif lors de leur émersion de l’océan alpin (croquis 1).
Pour illustrer ce mécanisme, on peut emprunter une image à l’art culinaire. Imaginons un marmiton qui prépare une tarte à la viande. Il commence par disposer un fond en pâte feuilletée dans un récipient. Son maître observe qu’il ne l’a pas étalée correctement. Il l’a serrée, la froissant en des ondulations qui dessinent des creux et des bosses. L’apprenti, trop pressé et peu méthodique, dépose sur un bord du récipient le hachis dont il veut garnir le fond de tarte. Au lieu de la répartir convenablement, il l’étale irrégulièrement d’un grand coup horizontal de sa spatule. Mécontent, le chef cuisinier lui ordonne de racler le hachis et de recommencer complètement ses opérations. L’élève s’exécute, et reprend sa spatule pour ôter la garniture. Mais entre temps, la pâte disposée au fond du moule s’est durcie, et ses ondulations se sont fixées. Si le hachis part bien lorsqu’il est situé sur un pli en bosse, il en reste au fond de ceux qui dessinent des creux. Transposons cette scénette dans le domaine de la tectonique alpine.
Dans les ondulations de la pâte, les bosses sont des anticlinaux et les creux, des synclinaux. Le hachis, ce sont les nappes de charriage. La spatule figure l’érosion. Celle-ci est beaucoup plus efficace sur les anticlinaux qui, du fait de leur élévation et de leurs formes convexes, lui sont vulnérables. Les synclinaux sont bien mieux immunisés. Bien sûr, il en va de même pour les matériaux charriés qu’ils supportent. En revanche, ceux-ci ont trouvé dans la concavité des synclinaux une topographie qui les abrite des forces érosives : ruissellements, alternances gel -dégel, abrasion des glaciers, etc (croquis 3). C’est un peu comme une application des Saintes Ecritures : « quiconque s’abaisse sera élevé, quiconque s’élève sera abaissé ». Dans cette logique, les anticlinaux ont eu le tort de s’élever, et les synclinaux ont été bien inspirés de s’abaisser. C’est pourquoi les premiers sont fréquemment éventrés en combes, alors qu’il n’est pas rare de retrouver les seconds en situation perchée par rapport à celles-ci [2]. Mais revenons aux nappes de charriage. Leurs parties qui sont venues s’échouer à l’emplacement des synclinaux ont trouvé en eux des niches protectrices contre l’érosion (croquis 2 et 3). Leurs vestiges ne sont autres que les klippes telles que celle qui constitue la Montagne de Sulens (croquis 3). Elle se trouve confortablement installée dans la conque formée par le grand synclinal qui s’étire du Reposoir à Serraval, dont la chaîne des Aravis n’est autre que le bord oriental, alors que l’alignement allant du Bargy au Suet et se prolongeant par le Mont Lachat des Villards, le Grand Biollay et Cotagne, forment le bord opposé (photo légendée).
D’où proviennent les roches charriées, et comment ont-elles été déplacées jusqu’à se trouver aux emplacements occupés par les vestiges qu’elles nous ont laissés ?
Elles sont originaires de la partie interne de l’arc alpin, à l’est du massif cristallin du Beaufortain. Donc, elles ont été poussées dans le sens est-ouest, selon une composante tangentielle, c’est-à-dire selon une ligne grossièrement tangente par rapport à la surface terrestre. En effet, lorsqu’on évoque la formation des Alpes, on évoque immédiatement la dimension verticale, avec la fameuse expression de « soulèvement alpin ». Mais celui-ci est une résultante de forces très complexes qui ont affecté l’écorce terrestre. Les principales, les forces majeures, celles qui ont été véritablement motrices, se sont exercées selon une dimension horizontale. Si l’on se réfère à la théorie de la tectonique[3] des plaques continentales, celle qui supportait le continent européen actuel s’est glissée en un mouvement tangentiel sous la plaque dite « africaine ». Sous les contraintes ainsi créées, les sédiments formés dans les étendues marines et océaniques, coincés entre les deux plaques, se sont plissés (croquis 1) en donnant, entre autres, les classiques ondulations anticlinales et synclinales. L’océan alpin, bousculé, s’est retiré. À sa place, ont émergé des chaînes que les géologues appellent « subalpines » et les géographes « préalpines », (dont les Bornes-Aravis) d’où des confusions possibles dans leurs appellations respectives.
Par-dessus les plis préalpins, sont arrivées les fameuses nappes de charriage venues de l’est (croquis 1). C’est pourquoi, en exagérant un peu, on peut dire, en se plaçant du point de vue local, qu’elles « n’ont rien à faire ici », un peu comme si les calcaires, les marnes, les grès et les flyschs de notre massif, tous autochtones, s’étaient fait envahir et submerger par des nappes étrangères, d’origine lointaine.
Pour illustrer ces processus tectoniques, on peut évoquer une manipulation relativement simple. Supposons qu’une personne étale entre ses deux bras, sur une table bien lisse, un tapis assez souple. Sa main gauche est à l’ouest. Elle rapproche ses bras, qui tiennent ainsi le rôle des plaques continentales. Le tapis se plisse. Si le bras droit, plus fort, accentue son mouvement par rapport au bras gauche, les plis de l’est se gonflent, basculent vers l’ouest, se couchent, et finissent par chevaucher ceux qui s’étaient formés plus sagement de l’autre côté. C’est ce qu’ont fait les nappes de charriage (croquis 1). Mais il ne faut pas distinguer une phase de formation de plis autochtones tout à fait distincte de celle des charriages : les deux processus peuvent avoir été concomitants, de même que l’érosion ne succède pas forcément aux plissements : elle peut les entamer dès leur formation.
[1] Processus de formation des montagnes.
[2] C’est le cas, par exemple, de l’Arclusaz dans les Bauges, du Haut du Seuil en Chartreuse, et de la Forêt de Saou dans la Drôme.
[3] Les forces tectoniques animent l’écorce terrestre. Leur dynamique souple donne des nappes de charriage et diverses formes de plis. Leurs modes cassants dessinent des failles. Les deux styles se combinent fréquemment.
Du point de vue de la disposition des couches, les charriages et les klippes qui en restent, introduisent des anomalies stratigraphiques. En effet, normalement, lorsque l’on entasse des journaux, les plus anciens se trouvent à la base de la pile, et les plus récents au sommet. Dans un océan, il en va de même : les couches les plus récentes se superposent graduellement aux plus vieilles. Mais les nappes de charriage d’un âge donné, formées ailleurs, ayant été poussées par des forces tangentielles, peuvent aller recouvrir des roches plus récentes qu’elles, mises en place selon un ordre d’empilement normal à l’endroit où elles se sont sédimentées.
C’est ce que l’on constate sur les versants de la montagne de Sulens, où les pélites[1] de l’étage du Trias, remarquables par leur couleur pourpre à violacé, se trouvent à des altitudes plus élevées que celles de certaines roches autochtones du Jurassique ou du Crétacé, plus récentes. En fait, la situation est encore compliquée par des inversions, des retournements stratigraphiques non seulement entre roches charriées et autochtones, mais déjà au sein des unités charriées elles-mêmes !
D’un point de vue géomorphologique[2], la montagne de Sulens souffre quelque peu d’une comparaison avec les cimes environnantes taillées dans les calcaires autochtones de l’étage Crétacé, notamment le faciès urgonien qui dresse ses parois abruptes partout ailleurs. Elle paraît plus amorphe que la majestueuse pyramide du Mont Charvin, ou que les dalles inclinées aux bords acérés et redressés de l’Etale. Son altitude de 1839 m est plus modeste que celle des crêtes méridionales des Aravis ou du massif de la Tournette qui s’élèvent à son voisinage. En revanche,sa situation centrale dans le vaste synclinal du Reposoir-Serraval, en fait un belvédère de premier ordre : elle offre une vue à 360 °sur l’ensemble de la partie méridionale des Bornes-Aravis, mieux que d’autres sommets plus élevés mais plus excentrés. Le dégagement de la vue est encore amélioré par la combe annulaire qui l’entoure et la détache du relief autochtone (Cf. la photo légendée). C’est pourquoi cette montagne mérite bien les tables d’orientation judicieusement aménagées à son sommet, pour la satisfaction légitime des randonneurs.
[1] Roches détritiques à texture fine, argileuse, mais consolidées.
[2] La géomorphologie est la science qui étudie les formes du relief de la surface de la Terre, ainsi que leur genèse.
Le croquis 3 montre la position logique d’une klippe telle que celle de Sulens,dans la configuration des plis autochtones, compte tenu des points d’application de l’érosion.
Ces trois dessins ne sont qu’une interprétation fort succincte des étapes tectoniques et morphogénétiques des klippes. Les véritables références scientifiques peuvent être trouvées aux pages 120 et 121 de l’ouvrage du Professeur émérite de géologie Jacques Debelmas, de l’Université de Grenoble I intitulé Alpes de Savoie. Il fait partie de la collection des guides géologiques régionaux édités par Dunod (Paris, 2011).
Dans l’édition Masson & Cie de 1970 des Guides géologiques régionaux consacrée aux Alpes de Savoie et du Dauphiné, le même auteur traitait déjà, mais plus succinctement, de la klippe de Sulens.
Sur l’Internet, il est indispensable de consulter le remarquable site www.geol-alp.com du Professeur émérite Maurice Gidon, lui aussi professeur émérite de géologie de l’Université de Grenoble I. La page adéquate est http://www.geol-alp.com/bornes/_lieux_aravis/sulens.html. On y accède par ce lien, ou en cheminant dans les pages suivantes : sections = Bornes, puis visites par localités (lieux). Sur la carte qui s’affiche, cliquer sur le figuré de la montagne de Sulens.
Source : Robert Moutard
Agrégé de Géographie
Docteur en Géographie-aménagement de l’Université Lyon 3
Les Montagnes de Manigod – R. Godefroy – 1921
Le livre « Les Montagnes de Manigod » (R.Godefroy – Librairie Dardel à Chambéry – 1921) est le 1er livre consacré aux montagnes de Manigod.
Le texte ci-après est une copie aussi fidèle que possible du document originel, en respectant l’orthographe des noms, lieux-dits, et les fautes d’orthographe et grammaire.
Consulter l’ouvrage numérisé (format PDF) : « Les Montagnes de Manigod«